Lépine invente le service de protection

    Découvrant le Salvage Corps anglais au cours d’un voyage d’études à Londres, le préfet Louis Lépine décide de doter la capitale d’un service indépendant identique, mais à sa manière.

    En 1900, le théâtre français est victime d’un terrible incendie qui nécessita l’emploi de 50 lances. Les œuvres d’art sont évacuées bon an mal an, comme le rapportent les journalistes présents, créant l’émoi parmi la population. Lépine, dépêché sur place, relève cette carence et décide d’y remédier.

    Au retour d’un voyage d’études à Londres, il notera que « le seul reproche sérieux que l’on puisse faire à notre service d’extinction des incendies est de ne pas toujours prendre assez de précautions pour ménager les meubles et objets précieux et de faire, dans certains cas, avec l’eau autant de dégâts qu’avec le feu, Le Salvage Corps est destiné à éviter cet inconvénient. Il se présente sur les lieux en même temps que les pompiers et bâche tous les objets. »

    L’annonce est faite : Lépine veut un service identique à Paris. Mais une chose a retenu son attention. Le Salvage Corps et le corps des pompiers londoniens sont deux entités distinctes, qui se livrent un combat féroce sur les lieux des opérations.

    Lépine visite Hambourg pour observer son service de protection.
    Dessin de Daniel LORDEY En décembre 1903, le préfet Lépine, accompagné par Adrien Mithouard, rapporteur du budget du Régiment auprès du conseil municipal de Paris, se rendent à Hambourg pour voir fonctionner le « Retter Corps » de la ville. Car dans le domaine de la protection, la capitale est à la traîne.

    Souvenirs de Louis Lépine

    Aux Etats-Unis, cela tourne parfois au pugilat ! Et ça, le préfet n’en veut pas, toujours dans le but de rendre le meilleur service à la population parisienne. Retiré de la vie parisienne, le préfet des rues, comme le nomment les Parisiens, Louis Lépine rédige son autobiographie intitulée Mes souvenirs, dans laquelle il revient sur cette épopée.

    « Au cours d’un voyage en Angleterre, mon attention avait été retenue par un service indépendant de celui des pompiers et qui s’appelle le Salvage Corps. Ce sont les compagnies d’assurances qui l’ont créé et qui l’entretiennent à leurs frais. Voici dans quel but : dans certains incendies les dégâts causés par l’eau des lances sont considérables. Ils dépassent parfois ceux du feu. Le Salvage Corps arrive derrière les pompiers, étend des toiles cirées sur tout le mobilier, puis il canalise les torrents d’eau au moyen de collecteurs, de balais, etc., jette de la sciure, prévient les infiltrations des parquets. L’idée est ingénieuse, mais en Angleterre, elle pêche par exécution. Pompiers et Salvage Corps se considèrent comme des adversaires ; pour les uns il y a toujours trop d’eau, pas assez pour les autres. Cette animosité se traduit souvent par des conflits violents, même pendant la manœuvre. Ils ne cherchent qu’à se gêner les uns les autres. »

    Convaincre les assureurs de l’intérêt de la protection

    L’idée fait son chemin. Reste à la financer. Lépine se tourne donc vers les assureurs, redoutable comme à son habitude. « Je n’ai pas voulu que la ville supportât les frais de ce service accessoire. J’ai demandé une subvention de 200 000 F aux compagnies d’assurances qui trouvent leur intérêt à donner. Le montant des valeurs mobilières protégées atteint beaucoup plus que 400 000 F. Les assurances profitent de l’économie, car sur 2000 sinistrés, il n’y en a que 30 qui ne soient assurés… »

    Arguant les économies qu’un tel service peut apporter en termes de remboursement de sinistre, le préfet des rues obtient des compagnies d’assurance qu’elles en financent une partie. Cependant, cette mission incombera au Régiment de sapeurs-pompiers de Paris, et a lui seul ! Car pour Lépine, les hommes des corps de protection doivent avoir, entre autre, une bonne condition physique. De plus il n’y a pas de concurrence entre les services, ne gênant en rien les opérations de secours. « Pour parer à cet inconvénient, j’ai confié aux sapeurs-pompiers eux-mêmes le service dit de protection. Partout où les circonstances le comportent, une équipe de nos hommes arrive avec les camarades. Ils s’entendent ; et comme tout métier demande un apprentissage, tous les hommes sont dressés à faire de la protection les uns après les autres. »

    Engin hippomobile d'un service de protection
    Les premiers engins de protection seront hippomobiles. Ils disparaitront lors de la motorisation complète de l’unité militaire. © Collection DBM

    Outre l’étude du système anglais, une délégation est envoyée à Hambourg pour voir la mise en œuvre des Retter Korps. Une fois son projet finalisé, Louis Lépine le présente au comité de perfectionnement et aux élus du conseil municipal de la Ville de Paris, le 14 décembre 1903. Celui-ci est adopté et un budget de 279 000 F de l’époque est voté pour la première année. Outre l’achat de sept fourgons dont un automobile et douze chevaux, les dépenses se repartissent entre l’achat du petit matériel (bâches, écopes, faubert, etc.) et l’embauche de cent hommes supplémentaires, formés aux opérations de protection et de bâchage, aux techniques de déménagement des meubles. Six casernes et l’état-major sont dotés d’un fourgon de protection.

    Mais le commandement ne veut pas en rester là, il décide de former dès la base, l’ensemble des sapeurs-pompiers. Mais il faut combattre le mal à sa source, et une sensibilisation à un emploi minimum de l’eau est de mise. En 1904, les compagnies d’assurance dénoncent le protocole d’accord, malgré des bénéfices substantiels. L’entretien de ce service revient donc à la charge de la collectivité. Il perdure encore de nos jours. Ainsi, les opérations de protection font toujours partie de la marche générale des opérations, véritable canevas-type d’une intervention.

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