Le sauvetage des sauveteurs – Partie 1 –

    Les pompiers sont aussi les victimes des sinistres qu’ils viennent combattre. Chez nos voisins, des formations existent pour sauver les sauveteurs. En France, nous en sommes encore très loin, même si certains Sdis avancent dans ce domaine, conscients que la vie d’un sapeur-pompier est inestimable.

    Il est 23h30 ce jour lorsque votre bip sonne : départ FPT ! Vous êtes engagé dans le cadre d’un groupe incendie pour feu d’appartement… Chef d’équipe BAT, vous finissez de vous équiper tout en écoutant attentivement votre chef d’agrès répondre au Codis qui lui confirme un feu avéré avec nombreux appels. La présence de victimes dans l’habitation incriminée n’est par ailleurs pas exclue, ce qui ne manque pas de générer un sentiment antagoniste d’excitation et d’appréhension au sein de l’équipage. Le deux-tons lancinant, scandé à intervalle régulier, et le reflet bleuté régulièrement projeté sur le mobilier urbain qui défile dans la pénombre à toute allure vous rappelle, s’il en était besoin, la vocation même de votre mission : porter secours. Et vous ne pensiez pas si bien dire… 

    En effet, prestement arrivé sur les lieux, l’odeur tenace de brûlé corrobore la gravité de la situation : un appartement entier au 2e étage est la proie de l’incendie, laissant s’échapper çà et là des langues de flammes qui menacent les étages supérieurs. Une première équipe, déjà sur place, s’affaire à l’établissement d’une LDV 500 par les communications existantes en vue de reconnaître le volume impliqué tandis que d’autres sont pleinement dévolues aux sauvetages des personnes se manifestant en façade. Ordre est alors rapidement intimé d’alimenter le premier fourgon et de concourir à l’évacuation des tiers. Cette organisation structurée au milieu du chaos ambiant se trouve soudain perturbée quand les ondes radio crachent un message redouté des sauveteurs : « équipier en difficulté ! ». Coupé dans votre élan, vous rejoignez alors, sur instruction, le point d’entrée initial. Là, haletant, suant, émotionnellement affecté, vous prenez pleinement conscience de votre nouvelle mission : porter secours… à l’un des vôtres.

    Arrêt sur image !

    Faisons un arrêt sur image à ce stade de la mise en situation et prenons maintenant le temps de disséquer ce concept, somme toute assez peu prosaïque de porter assistance au sauveteur. D’aucuns diront « quelle gabegie ! Nos sapeurs-pompiers sont là pour sauver, pas pour être sauvés… ». Et pourtant, contrairement à cette vision dogmatique, la réalité de terrain nous montre un tout autre visage, à savoir 18 décès en service commandé en moyenne chaque année depuis 10 ans en France. Rappelons que ce triste constat avait d’ailleurs servi de base aux recommandations émises par le rapport Pourny en 2003, dans le cadre de la mission sécurité des sapeurs-pompiers qui stipulaient d’envisager sérieusement une formation aux techniques de sauvetages de sauveteurs. 

    Aujourd’hui, après respectivement 40 et 15 ans d’expérience dans ce domaine à la London Fire Brigade et dans les grands corps de sapeurs-pompiers nord-américains, qu’en est-il au sein des services d’incendie et de secours français ? À la réponse fallacieuse « nos sapeurs-pompiers sont très bien formés et nous disposons systématiquement d’un binôme de sécurité à l’extérieur prêt à intervenir », je vous répondrai en arguant les deux points suivants : premièrement, en dépit de durées de formations initiales comprises entre 4 mois et 2 ans selon les pays, au lieu de 3 mois en France, les corps de sapeurs-pompiers britanniques, australiens ou encore américains ne se sont pas exonérés de l’appui d’équipes telles que les RIT (Rapid Intervention Team). Ces dernières, exclusivement dédiées à l’assistance d’agent en détresse sur les opérations complexes, ont maintes fois prouvé leur utilité, réduisant indubitablement les victimes du devoir. 

    Sapeurs-pompiers en pleine fumée

    Deux à l’intérieur et deux à l’extérieur

    Deuxièmement, ce qui a été le fondement du concept de RIT outre-Atlantique est la compréhension que la règle de sécurité du « deux à l’intérieur et deux à l’extérieur » est juste l’exigence minimum pour une opération de lutte contre l’incendie en volume semi-clos. De surcroit, elle résulte d’une prise de conscience réelle que disposer de deux sapeurs-pompiers attendant à l’extérieur d’une structure n’est pas suffisant pour secourir efficacement et en toute sécurité un collègue en difficulté et ce, même sur un feu d’habitation considéré comme routinier. En d’autres termes, « sauver le sauveteur » ne s’improvise pas, que l’on soit l’équipier en charge de cette action ou le chef des opérations, garant de la sécurité de l’ensemble des personnels engagés sur site. 

    Les challenges d’une telle équipe sont en effet loin d’être négligeables. Jugez-en par vous-mêmes : ses membres se doivent d’analyser finement la dynamique du sinistre et sa composante géographique afin d’optimiser le prépositionnement de ces sauveteurs de sauveteurs et la célérité de son intervention, le facteur temps étant l’élément crucial de cette mission salvatrice.

    Equipés de matériels spécifiques comme des outils de forcement, d’éclairage, d’accessoires de sauvetage ou encore de réserves d’air, ces derniers devront, une fois à l’intérieur, non seulement faire face aux mêmes risques que ceux qui ont mis en danger leurs collègues mais également les surmonter pour remplir décemment leur fonction. Concomitamment, l’action de cette équipe de sécurité présuppose également un soutien des équipes traditionnelles engagées qui devront, notamment, matérialiser des itinéraires de secours. S’agissant du Cos, il lui reviendra la responsabilité de dimensionner quantitativement le groupe d’assistance en fonction de la ZI, de mettre en œuvre le cadre d’ordre appliqué au sauvetage de sauveteurs et enfin de décider s’il délègue ou pas cette compétence.

    Ainsi, vous aurez compris, fort de ces quelques éléments de réflexion, que cette doctrine n’est pas dénuée de bon sens, considérant qu’elle est au sapeur-pompier ce que lui-même est à la population qu’il défend. Néanmoins, elle demeure exigeante pour les hommes investis d’une telle charge et nécessite conséquemment des compétences professionnelles pointues. 

    Une Rapid Intervention Team en cours de déploiement

    "Le Cos est le garant de la sécurité de l’ensemble des personnels engagés sur site."

    Pour en savoir plus...

    Sapeurs-pompiers en pleine fumée

    Le sauvetage de sauveteur : mode d’emploi – Partie 2 –

    Pour déjouer un piège, il faut déjà en connaître les principes. Puis, savoir quelles sont les techniques existantes pour s’en sortir vivant. Un feu dans un bâtiment représente un duo hostile et dynamique qui peut piéger le sauveteur. Une attitude proactive et pragmatique est source de savoir, savoir-faire et savoir-être face aux pièges qui, hélas, ont déjà tués des sapeurs-pompiers. Pourquoi un sauveteur, engagé sous ARI dans un bâtiment où se développe un incendie, peut-il devenir une victime ? Quelles sont les techniques pour prévenir ces dangers, voire y réagir ? En décembre 2003, le colonel Pourny conclut un rapport demandé par le ministre de l’Intérieur sur l’étude des missions confiées aux sapeurs-pompiers et l’amélioration de leur sécurité. Pour rappel, la profession déplore toutes causes confondues en 2002, 25 décès, et sur la période allant de 1992 à 2002 une moyenne de 20 décès par an. Parmi ses 200 propositions, une « formation

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    Itinéraires de repli et de secours

    Évacuer une structure en urgence n’est pas toujours facile. Afin d’augmenter la sécurité des personnels, il est important d’identifier, dès la reconnaissance, l’emplacement des itinéraires de repli, mais également des itinéraires de secours. Lors de sa parution en 2003, le GNR Explosion de fumées – Embrasement généralisé éclair édictait la règle de l’itinéraire de repli et de l’itinéraire de secours. Bien que primordiale, celle-ci n’est malheureusement pas appliquée tous les jours sur le terrain. Pourtant, elle fut reprise dans le cadre du rapport Pourny et elle est également présente dans le dernier GNR, concernant l’ « utilisation des lances à eau à main ». Mais quels sont ses objectifs, et en quoi est-elle si importante ? Il s’agit en fait de permettre à des intervenants d’évacuer d’urgence, en cas d’imminence ou de survenue d’un embrasement généralisé éclair par exemple. Souvent, dans le cadre de la survenance de ces phénomènes, le chemin d’accès n’est plus

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